Aldor (le podcast)
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Aldor
Le salariat et le vol (ou encore : le travail ou la vie)
8 minutes Posted Jan 24, 2015 at 10:42 pm.
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Voilà quelques années que les chefs d’entreprise dénoncent le coût trop élevé du travail : il est juste, expliquent-ils, que l’entreprise paie le travail fourni, mais non les coûts sociaux associés, c’est-à-dire ceux relatifs à l’homme plus qu’au travail lui-même.
Si ce raisonnement était suivi jusqu’à son terme, il conduirait à une grande révolution sociale. Ce qu’il met en cause, en effet, c’est le principe du contrat salarial, avec indivision de la rémunération du travail et de celle de l’individu ; ce qu’il suggère, c’est l’invention d’un nouveau système, dans lequel le travail seul serait rémunéré par l’entreprise, la collectivité se chargeant de la rémunération de la personne.
Pour mieux comprendre l’enjeu du débat, faisons un détour dans le temps et reportons-nous à ces siècles obscurs où les forêts étaient peuplées de brigands, trousseurs de grands chemins. Voici justement un cavalier qui passe, venu d’un pays lointain, et qui, soudain, est arrêté par un gredin qui lui tient le propos suivant :  » Seigneur, je te propose un contrat : si tu me donnes ta bourse, je te donne la vie sauve ; dans le cas contraire, je te la prends. Ma proposition est honnête : je n’y gagne que quelques pièces d’or et d’argent ; tu y gagnes ta vie. Comment pourrais-tu hésiter ? Le voyageur n’hésite pas. Il tend sa bourse au malandrin et poursuit son chemin jusqu’à l’auberge voisine.
Là, il relate sa rencontre, se vantant d’avoir réalisé une belle affaire. On rit, puis un homme s’approche de sa table et demande à lui parler : « Grand prince, lui dit-il, ne tirez pas fierté de votre aventure. Car vous avez été roulé, et je m’en vais vous le montrer. »
« Sachez d’abord, beau seigneur, que je suis magicien, et que j’ai pu, par la vertu de quelque élixir, me laisser porter par le fleuve du temps. J’ai vu des hommes qui ne sont pas encore nés ; j’ai lu des livres que nul encore n’a rédigés ; et j’ai pu apprendre les prolégomènes d’une science nommée économie qui, un jour, dominera le monde. Cette science dit qu’une transaction ne peut s’appeler contrat que si elle obéit à deux conditions : il faut qu’il y ait échange ; il faut que cet échange puisse être refusé. »
« Sans doute la première condition a-t-elle été, dans votre cas, respectée et c’est à raison que vous évaluez la vie qui vous fut laissée comme plus considérable que la bourse qui vous fut ôtée. Mais étiez-vous libre de refuser le contrat qui vous était offert ? Il aurait fallu, pour cela, que vous acceptiez de perdre la vie. Or, cela, vous ne le pouviez pas. Vous avez donc gagné au change mais ce change vous étant imposé, vous vous êtes plié à ce qui n’était contrat qu’en apparence. »
« Ces faux contrats, qu’on peut appeler contrats de brigandage, ont d’abord dominé le monde, mais l’effort des siècles a tendu à en limiter l’utilisation. Ainsi, dans le commerce, la règle s’est-elle établie de ne plus considérer comme contrats que ceux qui peuvent être refusés et d’interdire les transactions trop inégales. Si, comme prix d’un tapis, je ne demande qu’un peu d’eau, la maréchaussée future m’arrêtera pour cause de dumping ou de concurrence déloyale ; et si, pour ce même tapis, j’offre à mon client de ne pas brûler son échoppe ou de ne pas violer ses filles, les gendarmes me traqueront pour racket et atteinte à la liberté du commerce. Si, en échange de ce même tapis, le boutiquier ne me propose qu’une miche de pain, je passerai mon chemin ; s’il me propose la vie sauve, il sera poursuivi pour vol et extorsion. Progressivement, la règle ainsi s’établira selon laquelle le prix que je demande doit être à la mesure du bien que j’offre et le prix qu’on m’offre à la mesure du bien que je propose »
« Sachez que, pour les mêmes raisons, l’esclavage sera un jour aboli. On interdira qu’un homme doive, pour sauver sa vie, travailler pour un autre homme et l’on dira que les seuls contrats de travail valides sont ceux que le travailleur est libre de ne pas...