Aldor (le podcast)
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Aldor
Le veau d’or
2 minutes Posted May 23, 2018 at 10:00 pm.
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Dans ses Récits hassidiques, Martin Buber raconte l’anecdote suivante, qui met en scène le rabbin de Kotzk :

Un jour que les disciples du Rabbi de Kotzk discutaient entre eux du passage de la Torah : “Prenez garde d’oublier l’Alliance que le Seigneur votre Dieu a conclue avec vous, en vous façonnant une image taillée à l’image de tout ce que le Seigneur ton Dieu t’a ordonné“, se demandant pourquoi le texte ne portait pas, comme le sens semblait le vouloir : “Ce que le Seigneur ton Dieu t’a défendu“, le Rabbi intervint, les ayant entendus, et leur dit : “D’aucune des choses que le Seigneur notre Dieu nous a ordonnées, nous ne devons nous faire d’idole : voilà de quoi la Torah nous prévient.“

 
Il ne faut donc pas adorer d’idole, il ne faut pas en faire, même pas des commandements ou de la parole de Dieu. Mais pourquoi ?
On trouve une explication dans une autre citation prêtée au même rabbin de Kotzk et qui est reprise par l’encyclique Lumen Fidei. Il y a idolâtrie, dit le rabbin, « quand un visage se tourne respectueusement vers un visage qui n’est pas un visage ». Je ne suis pas arrivé à trouver la source exacte de la citation mais l’encyclique livre une explication que je comprends ainsi : les idoles sont des statues, figées dans une attitude particulière, ayant tout perdu (n’ayant jamais rien su, plutôt) de la fluidité de la vie. Leur sens est donc donné d’emblée, livré dans sa totalité à qui les voit. Or ce sens n’est en rien un appel à autre chose, une voie vers l’altérité puisqu’il est simplement et strictement celui que lui a donné l’auteur de l’idole, qui est aussi son adorateur. Et c’est pourquoi, au bout du compte, l’idolâtrie n’est qu’adoration de soi-même, une forme détournée, alambiquée, de narcissisme : l’idolâtre aime sa propre image.

“L’idole est un prétexte pour se placer soi-même au centre de la réalité, dans l’adoration de l’œuvre de ses propres mains.”

 
La pauvreté de l’idole et sa malignité ne sont donc pas dans l’idole elle-même, non plus que dans sa matérialité, mais dans ses origines : l’idole n’est rien parce qu’elle n’est rien d’autre qu’un clone de la personne qui lui a donné naissance et qui en elle s’est projetée. Elle ne dit rien parce qu’elle n’a pas de pensée propre, ne pouvant qu’inlassablement répéter ce que son créateur lui a d’abord murmuré. L’idole est toujours là où on l’attend.
Muette et figée, l’idole ne recèle donc aucun mystère, n’entrouvre aucune porte vers l’au-delà ou les étoiles. Elle n’a pas de souffle ; elle n’a pas d’esprit; elle ne porte aucun élan sacré, n’engage sur aucun chemin, est collée à elle-même. Le souffle et l’esprit appartiennent à la vie et au mouvant, aux créatures qui disposent de leur libre-arbitre et qu’on ne peut ni ne veut contrôler. Le souffle et l’esprit appartiennent à Dieu et à ses prophètes, aux prêtres et aux fidèles, aux pasteurs et aux catéchumènes de toutes les croyances, de toutes les sagesses, de toutes les religions qui inlassablement, jour après jour, siècle après siècle, affrontent en leur cœur le mystère de la transcendance, retraduisent, réinterrogent et réinterprètent les textes, redonnant vie et éclat à ce qui ne seraient sinon que de vieux parchemins. Et ce sont les épîtres et les gloses, les commentaires et les kabbales, les prêches et les lectures renouvelées qui, usant de la liberté ouverte par l’incompréhensible et de cet autre nom de Dieu qu’est la conscience,