Aldor (le podcast)
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“Les six cygnes”, un conte de Grimm lu par Simone Weil
8 minutes Posted Jan 14, 2018 at 8:41 am.
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“La seule force et la seule vertu est de se retenir d’agir“, écrit Simone Weil dans une petite dissertation qu’elle consacre, alors qu’elle a seize ans et vient d’entrer en hypokhâgne, aux Six cygnes, le conte des frères Grimm. C’est ce devoir que je lis à haute voix dans l’enregistrement ; on en trouvera le texte plus bas.
Simone Weil analyse cette histoire en termes d’action et de non action. La force de la sœur des six frères, devenus cygnes sous l’effet d’un sortilège, est, pour elle, de ne rien faire. De ne rien faire et de se taire, de garder le silence, quoi qu’il lui en coûte, pendant six ans. Alors que “nous agissons toujours trop et nous répandons sans cesse en actes désordonnés”, elle cesse tout mouvement, toute action, toute rébellion, et choisit le silence, consacrant avec abnégation toute son attention à la tâche unique qui lui a été confiée et à laquelle elle sacrifie tout : coudre des chemises faites d’anémones pour en revêtir le corps de ses frères et les délivrer ainsi du mal.
Il y a, dans ces courtes pages, des fulgurances d’expression. J’ai cité un morceau, déjà de : “Agir n’est jamais difficile : nous agissons toujours trop et nous répandons sans cesse en actes désordonnés.” ; il y a aussi ce diamant, dont elle parle d’ailleurs elle-même, un peu plus loin : “La seule force en ce monde est la pureté ; tout ce qui est sans mélange est un morceau de vérité.”. Il y a encore, que j’ai repris au tout début, ce magistral : “La seule force et la seule vertu est de se retenir d’agir.” Et puis il y a, portant sur l’attention plus que sur le refus d’agir, ce passage sur l’observation de la montre, où se reconnaît déjà toute la pensée de Simone Weil : “Quand l’on ne ferait, comme méditation, que suivre pendant une minute l’aiguille des secondes sur le cadran d’une montre, ayant pour objet l’aiguille et rien d’autre, on n’aurait pas perdu son temps.”.
Mais est-ce vraiment Simone Weil qui peut écrire, comme ici : “Le néant d’action possède donc une vertu.” Elle qui épuisera sa vie aux champs, dans les usines et les combats ? Elle qui, plutôt que d’accepter de ne pas agir, se laissera mourir ? Où est la vérité ?
J’ai, dans une Improvisation matinale, émis l’hypothèse, qui parfois me saute à la figure, que l’ambiguïté apparente, le balancement des choses, pouvait être le signe du mauvais angle sous lequel on les considérait, et une invitation à changer de point de vue. Et c’est l’idée qui me revient ici : observée à l’aune de la coïncidence des faits et des paroles ou à celle de la continuité et de la fidélité à elle-même, c’est la contradiction qui, au premier regard, s’étale, et le fait qu’après avoir dit noir, notre jeune philosophe ait dit et ait vécu blanc. Mais peut-être est-ce justement dans une autre direction qu’il faut tourner les yeux de l’esprit. Car comment ne pas ressentir par ailleurs la profonde et intime continuité, fidélité, cohérence, qui lie ce qu’écrit la jeune Simone Weil à ce qu’elle écrira, dira et fera plus tard ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’important n’est pas ici la vérité, non plus que la continuité des idées.