Aldor (le podcast)
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Les couverts à chapeaux (épisode 1)
9 minutes Posted Nov 3, 2012 at 10:10 am.
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Les couverts à chapeaux est une nouvelle que j’ai écrite il y a quelques années. Je l’avais enregistrée en 2012 mais cette lecture a disparu dans le crash de mon site à la fin de 2016.


Je réinjecte les quatre épisodes à leur date initiale de diffusion mais après les avoir réenregistrés (la qualité de l’enregistrement initial était médiocre).
 
Premier épisode
Le 15 juillet dernier, j’ai fêté mon anniversaire. Toute la famille est venue à la maison, m’entourant de son affection ce jour où, devenant majeur, j’accède aux responsabilités de l’adulte. On ouvrit le champagne, on bavarda, on dansa, on tint de longs discours sur la jeunesse dont il fallait profiter mais qui devait passer, sur mes études, mon avenir, mes amours.
Au moment où la fatigue commençait à faire son apparition sur les visages, dans les bâillements retenus, dans les regards lancés furtivement à l’horloge du salon, Tante Elodie s’éloigna un instant pour aller fouiller dans un placard et en revenir bientôt, un sourire aux lèvres et un paquet à la main.
« – Voici ton cadeau, Jacques, me dit-elle. Nous nous sommes, tous ensemble, cotisés pour te l’offrir. J’espère que cela te plaira ».
C’était un gros paquet, enveloppé de papier bleu nuit qu’illuminaient des étoiles, des comètes et des croissants de lune. Un père Noël hilare s’y promenait, confortablement assis dans un traîneau que tiraient quatre rennes aux yeux de biche. Sous le papier, un carton montrait ses arêtes qui dessinaient un cube parfait.
Je n’ai jamais su ouvrir les cadeaux comme il me semble qu’on doit le faire. J’ai dans l’esprit l’image de ces enfants ravis et pleins de grâce dont jaillissent, comme naturellement, des cris de bonheur et de joie. Mais cette spontanéité m’est étrangère. J’aimerais pouvoir, lorsqu’un cadeau m’est offert, ouvrir de grands yeux et avancer des mains impatientes ; j’aimerais faire taire l’individu sage et circonspect pour laisser libre cours à l’émerveillement et au plaisir. Mais en dépit de mes efforts, je n’y arrive pas. Recevoir m’est difficile : j’allonge les bras, je tends les mains et je perçois, au moment même où mes membres ainsi se délient, accompagnés d’un sourire qui se fige, d’un remerciement qui se noie, l’artifice de mon personnage.
Ce fut donc avec une joie suspecte, un bonheur apprêté, une surprise feinte dont la conscience m’était pénible, que je m’avançai vers le paquet, sentant sur moi, qui convergeaient, tous les regards tournés. J’aurais voulu que mes yeux brillent, que mon cœur batte à toute vitesse, que mes mains tremblent sous l’émotion. Mais rien ne se passait de tel ; j’étais calme.
Il fallut défaire le ruban. Un beau ruban de satin rouge noué avec grâce et fermeté. Valait-il mieux que j’essaie de le défaire, montrant ainsi le respect que j’accordais au travail de celui ou celle qui l’avait fait, prouvant ainsi combien j’étais sensible à la joliesse de cet appareillage, ou fallait-il que, pour montrer mon impatience et signifier l’incapacité dans laquelle j’étais de la surmonter, j’agisse comme Alexandre, rompant ce ruban gordien d’un coup de ciseaux ou de couteau ? J’ai toujours connu ce dilemme et n’ai jamais su le résoudre : je crains que, prenant mon temps, on ne me reproche un calme, une tranquillité de mauvais aloi car susceptible d’être interprétée comme l’indice d’un désintérêt, le signe indubitable d’un manque d’entrain et d’une attitude blasée. Mais je sais aussi les périls que l’on rencontre à suivre l’autre voie : à agir dans la violence, à prendre les armes contre un ruban qui ne nécessite sans doute pas que soient utilisés de tels moyens contre lui, à endosser le rôle de l’impatient trop impatient pour respecter les étapes, je crains qu’on ne me considère comme un ignorant et un barbare, un être incapable de savourer les bienfaits de l’attente,