Aldor (le podcast)
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Le silence d’Abraham
5 minutes Posted May 6, 2018 at 6:02 am.
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Pourquoi Abraham ne dit-il rien ? Pourquoi ne proteste-t–il pas quand Dieu lui demande de sacrifier son fils ? Pourquoi reste-t-il silencieux ?
Dieu lui demande de sacrifier son fils. Et que son geste soit en définitive arrêté ne change rien à l’affaire. En intention, il le sacrifiera bien, ce que reconnaissent les paroles de l’ange : “Parce que tu as fait cela et n’as pas épargné ton fils unique“. En intention et en vérité, le sacrifice est consommé.
Peut-être Abraham n’entend-il pas, ne comprend-il pas vraiment ce qui lui est dit. Il ne croit pas ce que Dieu lui dit ; il croit Dieu. Il n’a pas foi dans les paroles, qu’il n’écoute pas, mais dans Dieu entre les mains duquel il a mis sa confiance. Il fait confiance à Dieu. Ou peut-être encore considère-t-il la parole de Dieu, que nous prenons pour une injonction, comme une description. Non pas : “Il faut que tu fasses cela” mais “Tu feras cela car c’est ainsi écrit”. Et son obéissance, alors, ne serait qu’obéissance au destin, acceptation de ce qui est et contre lequel il est vain de lutter.
Il y a autre chose, de plus profond et de plus intime : Abraham sait parler ; il sait intercéder ; il l’a fait. Il ne craint pas de s’adresser à Dieu et de lui dire ce que sa conscience et la voix de la justice lui murmurent ou lui hurlent. Mais ici, c’est de sa propre chair, de son propre sang qu’il s’agit, et à lui qu’est adressée l’épreuve. Et la question éthique du sacrifice d’un enfant disparaît derrière celle, plus fondamentale encore pour Abraham, de la mise à l’épreuve : saura-t-il, lui qui a été investi et édicte des lois, obéir quand il s’agit de lui ? Saura-t-il s’oublier ?
Aurait-il été question de tout autre que d’Isaac, Abraham n’aurait pas obtempéré à la demande divine. Le juste, en lui, aurait pris le dessus et affronté Dieu comme il l’avait fait à propos de Sodome, au nom des valeurs divines, qui s’imposent aussi à Dieu lui-même :

“Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville ! Vas-tu vraiment supprimer cette cité, sans lui pardonner à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Ce serait abominable que tu agisses ainsi ! Faire mourir le juste avec le coupable ? Il en serait du juste comme du coupable ? Quelle abomination ! Le juge de toute la terre n’appliquerait-il pas le droit ?“

 
Quand il s’agit d’autrui, Abraham sait qu’il n’est rien de supérieur à la justice, rien qui vaille qu’un innocent soit mis à mort. Mais ce qui lui est demandé là concerne moins la justice que sa propre personne. Il ne s’agit pas d’être juste ou injuste ; il s’agit seulement de s’anéantir, de s’humilier, de ne plus être que l’instrument du Seigneur. De cette dépossession de lui-même, Abraham est anéanti,  subjugué mais il l’accepte. Non en paroles, car il ne répond pas à Dieu, mais en actes. Et par fidélité, par humilité, il va au bout de l’abnégation et commet le sacrifice suprême, qui est de sacrifier la justice et le bien à la foi.
C’est un acte terrible.
Est-ce à Dieu, à Satan ou à ses propres pulsions qu’Abraham a obéi, se demande Léonard Cohen dans son poème.
Cela demeure un mystère insondable, quelque chose qui purule dans nos consciences.

PS : Certains commentaires expliquent (et tentent de justifier) l’attitude d’Abraham par la certitude qu’il aurait eue, fort des promesses que lui avait faites Dieu, d’une issue favorable des choses. Cette explication ne me paraît pas tenable : si Abraham avait vraiment su que tout cela allait bien se finir, son obéissance n’aurait eu aucune valeur.